Monna Lisa et Léonard de Vinci, déceptifs ?

Depuis des siècles, La Joconde est un symbole. Un trésor de la Renaissance italienne qui attire chaque année des millions de curieux venus du monde entier. Pourtant, derrière cette aura quasi mystique, un constat s’impose. L’expérience de la rencontre avec Monna Lisa est devenue, pour beaucoup, profondément déceptive. Et il faut bien le dire, c’est un peu triste.

Monna Lisa est décevante, ou les moyens mis en place par le Louvre sont décevants ?

Chaque jour dans la salle des États du Louvre, c’est la même scène. Des grappes de visiteurs s’agglutinent, smartphones levés, pour immortaliser quelques secondes volées face au tableau le plus célèbre du monde. Mais très souvent, la magie n’opère pas. La déception s’entend dans les voix, se lit sur les visages. Comme celui de Jack, touriste américain, qui lâche un “pas impressionné” désabusé, ou celui de Christine, parisienne d’adoption, qui avoue ne rien ressentir malgré ses sept visites. Ces témoignages ne sont pas isolés. Une enquête de février 2024 place d’ailleurs La Joconde en tête des œuvres d’art les plus décevantes au monde.

Difficile de ne pas y voir une conséquence directe de sa célébrité. Le Louvre, avec ses 8,7 millions de visiteurs en 2024, est confronté à un afflux constant, dont 80 % se dirigent vers Monna Lisa. Files d’attente interminables, circulation au compte-gouttes, observation chronométrée. En moyenne, on ne passe que 50 secondes devant le tableau. C’est trop court. Presque absurde, pour une œuvre si riche de subtilités.

Et comme si cela ne suffisait pas, la distance imposée par des dispositifs de sécurité légitimes – vitre blindée, cordon de trois mètres – empêche toute contemplation intime. À cette distance, difficile de percevoir le fameux sfumato de Léonard de Vinci, ou encore les nuances jadis vives aujourd’hui ternies par le temps. “Je veux la voir de plus près”, confie Ayako, une visiteuse japonaise, frustrée. On la comprend, car Monna Lisa n’est pas non plus des plus grandes.

Un déménagement pour Monna Lisa

À cela s’ajoute un autre problème, plus insidieux : le manque d’accompagnement. « Comme partout », me direz-vous. Peu d’informations accessibles sur le contexte, peu d’explication sur l’évolution des couleurs, peu de clés pour comprendre ce qui fait réellement la singularité de l’œuvre. On regarde, mais on ne voit pas. On admire, sans comprendre pourquoi on devrait admirer.

Le Louvre a bien conscience du malaise. Le déménagement du tableau, annoncé pour 2031 dans une salle dédiée sous la Cour Carrée, visera à améliorer l’expérience. On espère mieux. Une médiation plus claire, un confort retrouvé, une relation moins artificielle avec l’œuvre. On peut s’y attendre avec un billet pour la voir qui sera à acheter en plus du ticket d’entrée. Car La Joconde mérite d’être redécouverte. Sans le filtre de la légende, sans la pression de l’icône. Avec juste un peu d’espace et de silence.

Et surtout, avec un peu d’aide. Car non, l’émotion face à l’art n’est pas innée. Elle se construit. Elle s’apprend. Il faut du temps, de la curiosité, et un accompagnement intelligent. Aujourd’hui, La Joconde souffre d’avoir été figée dans un mythe qu’elle ne peut plus incarner seule. C’est regrettable. Mais il n’est pas trop tard pour réenchanter ce regard devenu trop lointain.